Discours prononcé par Murong Xuecun devant l’opéra de Sydney le 5 septembre 2015 dans le cadre du « Festival des Idées dangereuses » (Festival of Dangerous Ideas)
Un extrait de ce discours a été publié par Le Monde dans son édition du 24 octobre 2015 : à lire ici.
Ces dernières années, j’ai souvent critiqué la censure qui sévit en Chine. J’ai aussi régulièrement évoqué la façon dont Internet est en train de changer radicalement la société chinoise. Cela m’a valu de devenir l’un des écrivains les moins appréciés du gouvernement chinois. Aujourd’hui, j’aimerais vous faire part d’une histoire qui m’est arrivée. Une histoire qui vous permettra de comprendre comment fonctionne la censure en Chine, de mesurer les dégâts qu’elle inflige à l’imagination et à la créativité des Chinois, mais aussi de saisir son impact sur le reste du monde.
Il y a un an, un producteur m’a contacté pour me proposer de participer à l’écriture d’un film sur le mahjong. J’ai d’abord pensé, “allez arrête, tu sais bien que ton projet n’a aucune chance d’aboutir, tu vas gaspiller ton argent. Si tu sais pas quoi faire de ton fric, tu ferais mieux de me le filer ! »
Le mahjong est le « sport » favori des Chinois. Dans des villes comme Chengdu ou Canton, on trouve dans presque chaque quartier une ou plusieurs salles de mah-jong. Un nombre incalculable de personnes s’y retrouvent de jour comme de nuit pour s’y affronter. Pourtant, il n’y a pour ainsi dire pas un film, pas une série télévisée en Chine continentale qui y soient consacré. L’une des raisons à cela est que ce jeu n’a rien de spectaculaire : à l’écran, ça ne donne pas grand chose. Mais en réalité, cette situation est avant tout due au fait que c’est une activité sous contrôle : le mahjong est dans le collimateur de la censure.
Les joueurs de mahjong aiment miser de l’argent. Or, les jeux d’argent sont interdits par le gouvernement. Bien que cette interdiction ne soit pas des plus strictement appliquées, la représentation de scènes de jeux d’argent dans des films ou des séries télévisées n’en déplaît pas moins fortement aux autorités. On voit ici à quel point l’État chinois fait preuve de naïveté, considérant que tant qu’une chose n’est pas montrée, il peut prétendre qu’elle n’existe pas, et supposer que personne n’en a connaissance.
C’est le premier fait tangible qui caractérise le système de censure chinois : il ne relève pas de la loi, ce qui ne l’empêche pas d’avoir plus de pouvoir qu’elle. Chez nous, toutes les lois ne sont pas respectées à la lettre par tout le monde, mais quand il s’agit de censure, et alors même que les règles en la matière ne sont pas vraiment claires, tout un chacun sait, comme d’instinct, à quoi s’en tenir, et prend bien garde à ne pas s’aventurer sur le territoire des sujets tabous ou sensibles.